Rav Tzvi Yehuda Kook sur le végétarisme : toute l’unité de la réalité

Rav Tzvi Yehuda Kook sur le végétarisme : toute l’unité de la réalité

«… Toutes les créations du Saint, Béni soit-Il, empruntent les unes aux autres ; le jour emprunte à la nuit et la nuit au jour », et elles ne se jugent pas les unes les autres (elles ne se poursuivent pas en justice) comme le font les gens, comme il est dit : « Le jour en fait le récit au jour…;”[1] la lune emprunte aux étoiles et les étoiles à la lune, et quand le Saint, béni soit-Il, le veut, elles n’apparaissent pas, comme il est dit: « Qui ordonne au soleil de ne pas briller ; Qui met un sceau sur les étoiles » ;[2] la lumière emprunte au soleil et le soleil à la lumière, comme il est dit: «Le soleil et la lune se tiennent à leur demeure…»[3] ; la sagesse emprunte à la connaissance et la connaissance emprunte à la sagesse, comme il est dit: «Dis à la sagesse que tu es ma sœur…»[4] les cieux empruntent à la terre et la terre aux cieux, comme il est dit:« Dieu ouvrira pour vous son bienfaisant trésor, le ciel pour dispenser à ton sol des pluies opportunes et faire prospérer tout le labeur de ta main »[5] la bonté emprunte à la charité et la charité à la bonté, comme on dit: « Celui qui s’efforce de faire la charité et la bonté… »[6] ; la Torah emprunte aux commandements et aux commandements de la Torah, comme il est dit: « Garde mes préceptes pour que tu vives, et ma Torah, comme la prunelle de tes yeux. »;[7] les créations du Saint Béni soit-Il empruntent les unes aux autres et font la paix entre elles sans problèmes… »[8]

Avec ce Midrash s’exprime toute une perspective d’unité de la réalité cosmologique globale, de toute existence, spirituelle et matérielle, « l’équipe de toutes les créations » dans une expression merveilleuse et claire. Et la paix ultime, toute la connexion de tout être du monde, l’harmonie intérieure et actuelle, dans leur collectivité et leur particularité, c’est l’intégrité véritable et la salubrité bien comprise.

Cette conscience de l’unité de la réalité cosmologique au sens plein étant posée, on peut répondre à la question de la consommation de viande animale ainsi: il y a là, en vérité, dans l’abstinence de manger de la viande animale, un fondement de confusion ou de superficialité, car ce n’est que par l’influence de nos sens ou, dirons-nous, la grossièreté de nos concepts, que nous pourrions faire la distinction entre ces créations que l’on appelle « vivantes » et celles que l’on appelle « non-vivantes. » Il va sans dire que, selon la théorie des idéaux platoniciens, tout dans le monde a un type d’âme, un tirage vers le bas de la force de l’essence spirituelle (forme), on le sait aussi par les propos des kabbalistes qui parlent de l’âme des végétaux et des minéraux, mais même selon la conscience la plus simple, qui est vraiment réaliste, voyez comme nous commettons l’injustice en tuant les vivants, en annulant cette procession de ses énergies et mouvements. Mais nous causons aussi l’annulation et le dérangement dans cette procession de l’énergie du sol par notre piétinement tout le long de notre chemin, de l’air par chaque mouvement causé par chaque respiration, et ainsi aussi dans chaque coin vers lequel nous nous tournons et ainsi à chaque pas que nous prenons perpétuons-nous l’injustice de nos actions en supprimant d’une main forte la force d’autres créations pour notre bénéfice privé. Et en vérité, il n’y a pas de réelle différence entre manger de la viande d’animaux et causer de la douleur aux animaux en général et s’en servir pour tout travail ou travail difficile, car même en cela, il y a en fin de compte une diminution de sa force et sa détresse, c’est juste qu’il y a la possibilité pour ce sentiment superficiel d’en douter et de ne pas être déprimé que par la force de notre contrôle ils ne sont pas absorbés et entrés dans nos entrailles, nos corps individuels particuliers. Mais est-ce une réponse suffisante, puisque nous avons épuisé les énergies et opprimé avec notre force privée, et nous avons fait cette injustice – est-ce seulement en mettant ces énergies dans nos corps individuels que l’injustice de nos actions est justifiée, et sans cela pouvons-nous nous dire avec des mains propres : « Soyez en paix » ?

Où se trouve le fondement de notre ligne de partage, qui sépare toutes les créations, sur laquelle tous nos pouvoirs et processus de nos vies sont basés, que dans chaque mouvement du processus de nos vies, nous sommes autorisés à les pousser et à les presser et à renverser l’ordre du processus de leurs énergies, et entre ceux dont l’agencement de leurs mouvements de vie est en quelque sorte plus proéminent, ordonné et organisé, qu’il nous est interdit de les prendre et de les utiliser pour nos besoins de vie ? Et combien plus encore en ce qui concerne la végétation, dont l’organisation et la vitalité se démarquent même pour nos sens bruts, et notamment à la lumière de la décision de la science contemporaine sur les signes de « la vie » des plantes ?

Et si c’est le cas, puisque cette distinction entre l’animal et la plante est floue et très faible et sans valeur réelle dans la réalité, et si de même la conscience va jusqu’à englober l’inanimé et toutes les créations, et si constamment, vraiment à chaque instant, nous annihilons et causons la perte, la rupture, et opprimons les autres pour nos propres vies, (autant qu’il y a effectivement lieu de parler d’anéantissement et de perte, etc.) – alors, il n’y a pas de fondement intellectuel clair pour s’abstenir de manger des animaux spécifiquement.

En effet, ce n’est que dans la perspective d’une unité vraie et claire, pure et exaltée, que sera supprimée la difficulté d’esprit qui rend cette conscience pesante pour nous, que notre vie, tout son processus et sa subsistance, est une chaîne de meurtres et de pertes de vies, qu’ils soient d’origine animale, végétale ou minérale. Car ce n’est qu’à partir d’une vision limitée concernant la particularité d’actions vues comme isolées que nous pourrions avoir des remords à leur sujet et les juger comme des actions mauvaises, mais dans la perspective de l’unité entière, nous ne nous verrons pas comme une chose particulière isolée, et de même pour chaque création particulière dans le monde, nous ne verrons pas (juste) des êtres vivants, pas (juste) des végétaux et des minéraux, mais bien plutôt elles et nous comme n’étant en fait qu’une seule chose, une seule entité organique, dont toutes les parties sont englobées, unifiées et reliés entre elles par un lien naturel intérieur, liées par l’origine : et tous reçoivent les uns des autres et se donnent les uns aux autres. Il n’y a dès lors pas de place pour ces sévérités dans le cours de nos vies, l’un ne consomme pas l’autre, c’est plutôt tout qui consomme tout. Les gens se soutiennent par l’échange dans l’économie spirituelle et matérielle de la vie, et il en est de même pour toutes les créations. L’homme devrait donc inspirer l’air de sa respiration et payer en échange avec ce qu’il expulse, et qui est nécessaire à des fins créatives différentes, ou alors c’est l’atmosphère qui paie l’homme en lui donnant ce dont il a besoin en échange de ce qu’il reçoit de ce dernier. De cette manière, l’homme utilise à son profit les animaux, et en échange il leur fournit leurs besoins et veille sur eux, ou à l’inverse, au prix de subvenir à leurs besoins et de les protéger, il les utilise à son profit : « Je mettrai de l’herbe dans votre champ pour votre animal »[9] et plus loin « vous mangerez et serez satisfaits. »[10]

Et ce calcul du «business» réciproque à lui seul ne permettra pas de clarifier pour nous le cadre général de l’ordre du monde et donc de calmer notre esprit, et nous ne pourrons pas mesurer l’étendue de ces lois en fonction de la réception exacte et ciblée du donner et du prendre, qui pourrait en effet être focalisée et exacte dans l’évaluation du Dieu de la Connaissance, mais il clarifiera plus spécifiquement la vraie vision d’ensemble de l’unité, dans laquelle toutes les créations sont fusionnées et se tiennent en elle en synthèse, toutes étant absorbées dans l’existence totale de ces calculs « d’affaires », elles se démarquent aussi comme de l’intérieur de la chaîne de causalité cosmique et historique, selon la sublime Providence, comme calculs globaux et modes de vie entiers et création de la totalité de l’existence.

 

Mais tout cela vaut du seul point de vue de la contemplation objective : du point de vue de l’orientation morale subjective, il y a certainement lieu de distinguer entre manger les animaux et les autres créations, car ils expriment plus évidemment leur détresse et leur oppression, ce qui du fait de notre partenariat vital avec eux et de la visibilité supplémentaire de la proéminence de la différence entre les changements de leur condition visibles pour nous, tout cela fait une impression plus puissante et plus proéminente sur notre psyché et sur les chemins de notre morale. Et c’est le fondement du fait que la principale raison de l’interdiction de faire souffrir les animaux est de supprimer de notre cœur la caractéristique de la cruauté. Et cela correspond à l’affirmation: « La charité ne paie qu’en fonction de la gentillesse qu’elle contient. »[11]

Et après tout cela, il y a encore de la place pour une vision du futur à venir où il n’y aura ni manger ni boire, car à la fin des temps, lors de l’accomplissement cosmologique universel le plus grand et englobant, la caractéristique individuelle sera également élevé à la complétude, et il n’y aura donc pas de place pour qu’un individu reçoive de la générosité de son compagnon, mais plutôt pour une nourriture saine et complète puisant dans la générosité individuelle essentielle, liée à l’origine, sans association avec une autre assistance individuelle, mais seulement au milieu de la bonté vitale collective, bénéfice du rayonnement de la Présence Divine, qui remplira parfaitement le besoin de toute vie et de toute existence. «… Car Dieu sera votre lumière éternelle, votre Seigneur sera votre gloire.»[12]

Il y a aussi le fait que dans les générations récentes un consensus commence à se faire concernant la consommation de viande, le fait qu’elle n’est pas nécessaire voire même pas toujours bonne pour la santé physique des hommes. Il est possible que cela fasse partie du développement global de la réalité et de l’homme, que ce soit du point de vue de l’élévation finale, future, naturelle ou que ce soit du point de vue de notre développement moral.

[1] Psaumes 19:3

[2] Job 9:7

[3] Habakuk 3:11

[4] Proverbes 7:4

[5] Deutéronome 28:12

[6] Proverbes 21:21

[7] Proverbes 7:2

[8] Èxode Rabah 31:15

[9] Deutéronome 11:15

[10] Idem

[11] Souccah 49b

[12] Isaïe 60:19

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