Le zèle pour la justice et les droits de l’homme

Le zèle pour la justice et les droits de l’homme par Rabbi Elli Tikvah Sarah

Shabbat shalom à toutes et à tous,

 C’est un honneur et un grand plaisir d’être invitée à prendre la parole aujourd’hui lors de ce premier office de Shaharit Shabbat EUPJ qui marque Pride Shabbat.

 Je souhaite saisir l’occasion d’exprimer, du fond de mon cœur, ma solidarité envers tous ceux qui vivent dans des pays où les personnes LGBTQ+ ne bénéficient pas de lois égalitaires mais sont assujettis à des abus et de la persécution homophobes ou transphobes, que ce soit de la part de l’autorité étatique ou de la culture locale. Je vais parler de mon expérience personnelle en Grande-Bretagne dans l’espoir que le voyage vers l’égalité et l’inclusion, à la fois dans la société plus largement et au sein de la communauté juive, puisse servir d’inspiration vers le possible.

Pour commencer, je voudrais saluer la mémoire du premier rabbin gay en Grande-Bretagne, l’extraordinaire Rabbi Lionel Blue, Zichrono livrachah – Que la mémoire de son nom soit une bénédiction. Mon tuteur pendant mes cinq années d’études rabbinoiques au Leo Baeck College et le rabbin qui m’a ordonnée, Lionel a connu la vie d’homme gay quand l’homosexualité était encore illégal. Lionel a partagé sa sagesse unique et son analyse de juif gay et rabbin lorsqu’il s’est adressé au Gay Christian Movement (Mouvement Gay Chrétien) en 1981 sur le thème de ‘Being Godly and Gay’, Etre Homme de Dieu et Gay. 1

Aujourd’hui je ressens la perte de Lionel et aussi de Sheila Shulman. Lorsque nous avons reçu notre s’michah le 9 juillet 1989, nous sommes devenues les premières rabbins lesbiennes au monde. Malheureusement, Sheila est décédée en 2014, quelques mois seulement après la célébration des 25 ans depuis notre ordination, marquée par un colloque spécial, d’une journée, au Leo Baeck College .1

Zichronah livrachah – que la mémoire de son nom soit une bénédiction.

Aujourd’hui marque un moment pour reconnaître nos pertes, les défis auxquels les personnes LGBTQ+ qui vivent encore la discrimination et la persécution continuent à faire face, et c’est aussi un moment pour célébrer. Car aujourd’hui en Grande-Bretagne, 20% du rabbinat progressiste est LGBT+ et les juifs LGBT+ spnt maintenant intégrés à la communauté juive progressiste britannique. Comment s’est opéré ce changement radical ?

Depuis qu’en 1967 le Sexual Offences Act a décriminalisé les faits homosexuels en privé entre deux hommes consentants âgés de plus de 21 ans, des changements juridiques sur 50 ans ont abouti à une égalité d’âge de consentement, le mariage pour tous et des personnes transgenres peuvent obtenir une modification de leur certificat de naissance pour refléter leur nouveau nom et identité genre. Mais n’oublions pas : ces changements juridiques et ceux dans d’autres pays, n’ont eu lieu que parce que des personnes LGBT+ ont mené un combat pour la reconnaissance de nos pleins droits en tant qu’individus – à commencer par le moment symbolique quand la clientèle gay du Stonewall Bar à Greenwich Village, New York a déclenché une émeute le 28 juin 1969 en réponse à une descente de la police et à des actes d’harcèlement répétés de la part de la police.

Pendant les années 1970 et le début des années 1980, l’activisme a pris la forme du Gay Liberation Front, fondé en 1972 d’un côté et de Lesbian Feminism de l’autre. C’est à Lesbian Feminism qu’on doit le L de ce qui est devenu LGBT. Pour des lesbiennes en Grande-Bretagne et ailleurs, notre combat pour la libération n’avait pas de dimension juridique et sans le défi que Lesbian Feminism posait au système patriarchal, et ce que l’écrivaine et poétesse juive lesbienne Adrienne Rich appelait ‘l’hétérosexualité obligatoire’, l’existence lesbienne serait restée invisible.

A la fin des années 1980, le ‘drapeau arc-en-ciel’ qui avait vu le jour une décennie avant, proclamait une alliance de solidarité de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres, d’où LGBT et couvrant une pluralité d’identités. Alors que le terme de bisexualité interroge les suppositions binaires concernant l’orientation sexuelle, l’ajout du terme ‘transgenre’ interroge les notions mâle/femelle (masculin/féminin ?) de genre.

Depuis 50 ans et plus, nous avons vu des changements considérables dans des états progressistes à travers le monde et un arc en ciel qui couvre de plus en plus largement et s’est étendu en ajoutant une lettre supplémentaire, le Q pour reconnaître ceux qui sont ‘queer’ et/ou ‘questionnent’ leur genre et/ou sexualité et un ‘i’ pour reconnaître ceux qui sont intersex. Mais il n’y a pas que de bonnes nouvelles. 71 pays continuent à criminaliser les personnes LGBTQ+, dont 32 nations africaines, 23 nations du Moyen Orient et Asie, 9 nations aux Amériques et 7 nations en Océanie. De plus, sans rendre l’homosexualité illégale, la Russie a, en 2013, voté une ‘loi anti-propagande gay’. La haine exprimée à l’encontre de personnes LGBTQ+ ne se cantonne pas aux lieux où la persécution fait partie de la législation. Depuis quelques années, le 20 novembre a été désigné Transgender Day of Remembrance, Jour du Souvenir Transgenre, pour honorer Rita Hester, une femme transgenre de couleur qui a été tuée chez elle à Allston, Massachusetts, USA le >28 novembre 1998.

Entretemps, une égalité et l’inclusion croissantes à travers le monde progressiste, n’a pas automatiquement conduit à des changements au sein du monde juif. Pour que cela arrive, des personnes LGBTQ+ juives ont été amenées à frapper à la porte de la vie juive – ce qui est ce que Sheila et moi-même avons fait en 1984, lorsque, adhérant au même groupe juive lesbienne, et sans nous consulter, nous avons toutes les deux fait une demande d’acceptation pour le programme d’études rabbiniques du Leo Baeck College. Je ne peux pas parler pour Sheila. Pour ma part, ma décision de solliciter une place résultait d’une prise de conscience que pour avoir une chance d’effectuer un vrai changement, il ne servait à rien de faire partie d’un cadre radical séparé de la société environnante. Je devais œuvrer pour générer des changements venus de l’intérieur. Ma manière de faire cela était d’intégrer la communauté juive établie et de faire ce que je pouvais pour contribuer à rendre la vie juive égalitaire et inclusive, apte pour la fin du 20ème siècle.

Donc, deux féministes lesbiennes sur leur chemin. Mais bien sûr, un fois que Sheila et moi-même avons survécu à la période de stage des cinq ans que duraient notre formation rabbinique et une fois ordonnées, il y avait rapidement beaucoup plus de juifs LGBTQ+ qui savaient qu’il était possible de devenir rabbin, et tout aussi important, la communauté juive LGBTQ+ s’est éveillée grâce aux contributions de rabbins arc-en-ciel.

Voici deux exemples de taille. Tout d’abord, le Jewish Gay and Lesbian Group, le groupe juifs gays et lesbiennes, fondé en 1972 sous le nom de Jewish Gay Group, le plus ancien de ce type, dans le monde. Un petit nombre de lesbiennes, dont moi-même, a découvert le Jewish Gay Group en 1987 à la suite de notre participation à un colloque international de juifs gays et lesbiennes à Amsterdam. A l’époque c’était un cercle exclusivement masculin, mais nous avons assez rapidement réussi à nous forger un espace et à faire inclure le mot ‘lesbienne’ dans le nom du groupe. Je suis très fière d’avoir conduit les offices mensuels d’Erev Shabbat pour le JGLG à ses débuts, rejointe en 1992 par Rabbi Mark Solomon, transfuge de la United Synagogue (comparable au Consistoire français) et qui a par la suite joué un rôle clé pour l’inclusion de juifs LGBTQ+ au sein de Liberal Judaism. Aujourd’hui un nombre considérable de rabbins arc-en-ciel mènent l’office mensuel d’Erev Shabbat. Entretemps, il y a deux ans ,il y a eu un nouveau changement de nom et le JGLG est devenu le Jewish LGBT+ Group.

Mon deuxième exemple est celui de Beit Klal Yisrael, la communauté fondée par Rabbi Sheila Shulman et un groupe d’amies féministes lesbiennes en 1990 comme communauté juive inclusive. Conduite et nourrie par Sheila avec amour pendant de si nombreuses années, Sheila a aussi soutenu de nombreux individus pour leur permettre de réaliser leur potentiel et devenir rabbin, en particulier des personnes LGBTQ+, y compris Rabbi Judith Rosen-Berry qui lui a succédé. Le rabbin actuel de BKY est une autre lesbienne, Rabbi Anna Posner.

 Entretemps, mon rabbinat personnel a été dédié à rendre les communautés dans leur ensemble plus inclusives. Le chemin était semé d’embûches pendant les premières années mais je refusais de perdre espoir. J’ai commencé à exercer comme rabbin de Brighton and Hove Progressive en décembre 2000 et aujourd’hui BHPS est devenue une communauté véritablement inclusive, au sein de laquelle des individus LGBTQ+, des couples et des familles peuvent participer, exercer leurs dons et célébrer leurs vies et les événements du cycle de la vie. Les changements sur le plan pratique qui ont fait de l’inclusion une réalité sont : des cérémonies de mariage pour des couples du même sexe, des bénédictions pour des bébés d’individus et couples LGBTQ+, l’option pour des jeunes gens de se déclarer genre neutre et devenir b’mitzvah (plutôt que bar ou bat), la possibilité de célébrer la transition de genre de manière juive et l’accès à des WC tous genres.

Donc, un paysage juif qui change suite au travail de rabbins et de communautés, et également suite à des changements au niveau du mouvement en réponse à la présence et aux contributions de rabbins arc-en-ciel. Liberal Judaism, par exemple, s’est embarqué sur un voyage vers l’inclusion, ce qui à son tour a favorisé le soutien et encourage le changement au niveau communautaire. En 2002, Liberal Judaism a mis en place un groupe de travail rabbinique dont je faisais partie, pour la conception de cérémonies pour des couples de même sexe, ce qui coïncidait avec l’entrée en vigueur du Civil Partnership Act, la loi qui initiait en GB la reconnaissance juridique de la cohabitation. Alors que la Campagne pour le Mariage Egalitaire prenait son essor, avec participation active de l’assemblée des rabbins libéraux, Liberal Judaism s’est publiquement déclaré en faveur du mariage égalitaire et commençait en même temps sa collaboration avec Queer and Trans Jews UK. Liberal Judaism  a aussi lancé d’autres projets : Rainbow Jews3, les juifs arc-en-ciel, un projet qui enregistre l’histoire des juifs LGBT+ depuis les années 1950 à nos jours, le projet trans inter-religieux Twilight People 4 ( les gens de la pénombre) et Rainbow Pilgrims (les pélerins), un projet qui recherche les expériences de migrants LGBT+ et réfugees5.

J’ai parlé du développement de l’inclusion LGBTQ+ en GB en général et au sein de la communauté juive britannique en particulier à fin de montrer que le changement est possible quand nous nous engageons à le générer. La parasha  de cette semaine, Pin’chas, comporte l’histoire de quand les cinq filles de Tz’lophchad, un descendant de Manasseh, fils de Joseph, ont pétitionné Moïse après le décès de leur père en demandant que puisqu’il n’y avait pas de fils, elles, les filles, puissent hériter de son bien. Leur demande a été accordée et la loi fut modifiée afin de permettre à des filles d’hériter en absence d’un héritier mâle. Dans la parasha de la semaine prochaine, la double parasha Mattot-Mas’ei, en réponse à un appel formulé par les parents mâles des filles, la loi sur l’héritage fut de nouveau modifiée avec mention que dans le cas d’héritage par des filles, celles-ci ne pouvaient se marier qu’à l’intérieur de leur tribu, afin de s’assurer que les biens du père restent au tribu.

Alors, pas une victoire énorme pour les droits des femmes, mais une victoire significative tout de même – non des moindres car elle montrait que la loi pouvait être modifiée en réponse à une demande de modification. Avec l’émergence du judaïsme progressiste en Allemagne au début du 19è siècle, répondre à des appels de changement et à des circonstances changeantes devint un principe de base. Un siècle plus tard, en 1899, Lily Montagu, une des trois fondateurs du Judaïsme Libéral en GB et la première Secrétaire d’Honneur de la World Union for Progressive Judaism lorsqu’il fut établi en 1926, résumait la tâche du judaïsme progressiste. Je cite « satisfaire les besoins de l’époque ».

A me concentrer sur le narratif relatif aux filles de Tz’lophchad, vous pensez peut-être que j’évite l’histoire moins édifiante de Pin’chas, fils d’Eleazar, fils de Aaron, dont le nom identifie la parasha ; une narration qui commence à la fin de la parasha précédente, Balak. L’histoire présente Pin’chas en nous racontant ce qu’il a fait lorsqu’il a perçu un de ses frères ayant des relations avec une femme midianite. Je cite ‘…il se leva du cœur de la communauté, saisit une épée, poursuivit l’homme israélite dans la chambre et les transperça tous les deux, l’homme israélite et la femme, à travers son ventre.’

Nous reculons bien évidemment devant le zèle meurtrier de Pin’chas et de tous ceux qui tuent au nom de Dieu. Mais, en célébrant Pride aujourd’hui, nous nous trouvons face au défi de reconnaître que le zèle n’est pas toujours une pulsion destructrice et qu’il nous faut reconnaître le zèle pour l’égalité qui a propulsé des individus et des communautés à s’engager dans la lutte pour l’inclusion LGBTQ+. Nous avons besoin de ce genre de zèle constructif. En disant cela, je suis consciente qu’en tant que Elisheva Tikvah Sarah bat Y’hudit u’Phi’nchas, les noms hébraïques de mes parents sont un rappel constant de courant meurtrier sous-jacent au zèle. Cependant, mon héritage parental mis à part, mon expérience personnel du combat pour l’égalité et l’inclusion LGBTQ+, montre qu’afin de réaliser des changements, il faut parfois être zélote ; zélote pour la justice et les droits des êtres humains. Donc, aujourd’hui, alors que nous célébrons ce premier Pride Shabbat Pan-Européen, rendons grâce pour tous les pionniers zélotes et récitons la bénédiction qui remercie l’Eternel de nous avoir maintenu en vie, de nous avoir soutenus et de nous avoir amenés à ce moment :

Baruch Attah, Adonai Eloheinu, Melech ha-olam, shehecheyyanu, v’kiy’manu, v’higi’anu laz’man ha-zeh.

Et disons : Amen.

 

Rabbi Elli Tikvah Sarah

 

 

 

 

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